CRÉATION DU RÉSEAU RH SHAWI : Les PME de Shawinigan et les acteurs de développement économique se mobilisent!
29 novembre 2018
POURQUOI REPRENDRE UNE ENTREPRISE EST PLUS QU’ENTREPRENDRE : UNE RÉFLEXION.
21 janvier 2019
Tout voir

LA PME PEUT-ELLE SE PASSER DE L’INSTITUTIONNALISATION DE LA GESTION DU CAPITAL HUMAIN?

CINQ RÉPONSES SOUS LA LOUPE

Les qualificatifs petit et moyen associés aux entreprises de 499 employés et moins ne représentent nullement l’importance des petites et moyennes entreprises (PME) dans le tissu économique du Québec. Au Canada, Les PME sont au cœur de l’économie, représentent 97,9 % (99,75 % au Québec) des entreprises, contribuent à 50 % au produit intérieur brut (PIB) et absorbent une part de l’emploi de plus de 90,3 % (92 % au Québec) [1]. Elles sont visiblement les plus dynamiques en matière de création d’emploi. Paradoxalement, malgré cette réalité, la fonction Gestion du Capital Humain (GCH) au sein des PME est souvent absente, embryonnaire ou modeste. S’agit-il ici d’une situation symptomatique d’un problème beaucoup plus profond ?

D’entrée de jeu, un consensus est déjà établi sur le fait que la GCH au sein des PME présente des caractéristiques bien différentes que celle dans les grandes entreprises. Plus spécifiquement, à cause d’un effectif réduit et des ressources limitées, la GCH au sein de la PME est moins formelle, moins structurée, moins hiérarchisée, plus centralisée, plus directe, ad hoc et idiosyncratique. Avec une part de 45 % de l’ensemble des dépenses en recherche et développement (R&D), les PME témoignent bien que le capital humain constitue une source de croissance, d’avantage concurrentiel, mais également de vulnérabilité pour sa rareté ; une situation paradoxale qui met les gestionnaires des PME au défi de trouver une réponse à l’épineuse question : « la PME peut-elle se passer de l’institutionnalisation de la gestion de son capital humain? ». Le débat autour de cette question se cristallise autour de cinq réponses qui évoquent cinq approches différentes en termes de culture et d’ancrage des pratiques de GCH. Le choix de l’une ou l’autre des cinq approches est tributaire de plusieurs critères explicités ci-après.

  1. L’approche start-up ou entrepreneuriale ou patron solitaire. Cette approche privilégie le statu quo afin de maintenir la même structure que celle implantée lors de la création de la PME ; une structure toujours marquée par l’absence de ‘fonction personnel’ formelle. Cette approche est très attrayante aux yeux de l’entrepreneur puisqu’elle lui permet de garder un certain contrôle sur le fonctionnement de sa PME. Toutefois, le succès de cette approche dépend de la capacité de l’entrepreneur à assumer l’élasticité fonctionnelle (gestion de plusieurs fonctions). En fait, quand cette élasticité élargit la portée des fonctions, elle sacrifie nécessairement la profondeur réduisant ainsi la GCH à des tâches purement administratives. Plus l’effectif et la variété des emplois augmentent, plus le temps nécessaire pour l’entrepreneur à assumer des tâches relatives à la GCH augmente, plus la PME perd en efficience voire en efficacité (ex. inadéquation entre le taux horaire de l’entrepreneur et les tâches administratives relatives à la GCH générant des coûts marginaux considérables).
  2. L’approche délégation disséminée ou managers peu crédibles. Dès l’embauche du 10e employé, l’approche start-up commence à compromettre l’agilité du centre décisionnel de la PME (l’entrepreneur). Ainsi la délégation disséminée se présente comme l’alternative ou l’évolution naturelle d’une GCH entrepreneuriale, mais seulement comme tâche ad hoc en absence de toute forme d’institutionnalisation. Selon une étude récente (2017) de L’Institut de recherche d’ADP, 70 % des PME de 5 à 49 employés optent pour cette gestion ad hoc du capital humain. Principalement, la délégation disséminée consiste à déplacer subtilement les questions relatives au capital humain aux managers de ligne, sans qu’aucune responsabilité ne leur soit formellement attribuée en matière d’impact de ce capital sur la performance de la PME ; la GCH est laissée au bon vouloir des gestionnaires en place. Malgré son caractère simpliste, cette approche pose plus d’un défi en matière de perte de productivité, d’ancrage d’une tradition orale/informelle de la GCH, de gestion cloisonnée en silo et en solo, d’arrimage des efforts, de disparité des pratiques RH entre les unités, de coût de coordination, de conformité aux lois, de connaissance fine de la GCH, d’évitement d’erreur, de distraction des managers de leur rôle fonctionnel, technique et stratégique, et surtout des risques de navigation dans une zone d’incompétence (GCH), d’exercice d’un métier qu’on ne connait pas et de manque de légitimité.
  3. L’approche outsourcing ou externalisation. Le besoin de réduire les risques inhérents à l’approche délégation disséminée incite le management au sein de la PME à externaliser la GCH, c’est l’approche outsourcing. La firme de conseil et de recherche Gartner rapporte qu’environ 80 % des entreprises externalisent au moins une activité de GCH. Ce choix marque un tournant stratégique dans la vie de la PME nécessitant une transition en douceur d’une logique de ‘’faire la GCH’’ à ‘’faire faire la GCH’’. Cette approche a l’avantage d’offrir plus de flexibilité et d’efficience dans l’utilisation des ressources, et de libérer les gestionnaires des tâches ad hoc relatives à la GCH pour mettre l’accent sur le volet affaires propre à leur fonction. Externaliser la GCH n’est évidemment pas sans embûche à partir du moment où d’autres questions émergent : quoi externaliser, avec quel partenaire, qui gère l’externalisation et comment gérer la relation PME-Impartiteur en termes de prise de contrôle à la fois sur la prestation et sur les coûts.
  4. L’approche cosourcing ou sourcing hybride. La promesse des gains de l’approche outsourcing trouve rapidement ses limites dès que l’effectif de la PME atteint un seuil au-delà duquel l’internalisation partielle ou le cosourcing devient un choix plus attrayant. En effet, les PME de 16 à 80 employés arrivent à tirer leur épingle du jeu de l’externalisation, mais les gains déclinent avec l’effectif pour passer de 50 %, à 47 %, et puis à 45 %. De plus, à partir d’une masse critique, le cosourcing a également l’avantage de réduire les distances ‘’psychologiques’’ entre la direction et les employés et de mettre les premières assises pour une professionnalisation de la GCH au sein de la PME.
  5. L’approche insourcing ou internalisation ou centres de services partagés. Progressivement, la contribution du capital humain dans la chaîne de valeur légitime l’institutionnalisation de la GCH par la création d’une unité formelle. Celle-ci assure la transition (totale ou partielle) d’une GCH par le cosourcing à une GCH par l’approche insourcing, c’est-à-dire une gestion interne centrée sur la création de la valeur par le personnel. La dotation de cette unité varie de 1,3 (pour 100 employés) à 5,5 (pour 499 employés) professionnels partenaires d’affaires RH dont la fonction principale est de bâtir et pérenniser quatre équilibres constituant le socle de la création de la valeur : E1= dotation/formation; E2 = contribution/rétribution; E3 = mobilisation/mieux-être; E4 = performance collective/performance individuelle.

Les approches présentées ci-devant offrent aux entrepreneurs, aux managers, aux cadres dirigeants et aux professionnels en GCH un cadre d’analyse de l’institutionnalisation de la GCH au sein de leur PME en canalisant la réflexion autour de certains critères spécifiques pour adopter l’une ou l’autre des cinq approches. Quatre critères majeurs devront appuyer la décision et le moment de passer d’une approche à l’autre, à savoir : i- perte d’agilité décisionnelle; ii- perte de légitimité; iii- perte d’efficience; iv- perte d’impact d’affaires.

 

———————————————————————————-

Jamal BEN MANSOUR, M.Sc, Ph.D, CRHA

Chercheur régulier à l’Institut de recherche sur les PME (INRPME)

Professeur en Gestion des ressources humaines

Département de Gestion des ressources humaines

[1] Sources : Institut de la statistique du Québec, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Statistique Canada

Laisser un commentaire